LE BALLON
Un froid piquant gelait leurs doigts engourdis, vainement accrochés à ce grillage qui nous séparait. Leurs regards noirs ,lointains rayonnaient de convoitise et les mots timides ,chuchotés de l’un à l’autre fusaient :
-« on y va ?
-par où ?
-on traverse la ligne !
-non, le train arrive
-mais non c’est la draisine ! »
La draisine, drôle de nom pour un seul wagon, bruyant, ferrailleur, jaune pétant, destiné à l’entretien d’une ligne de chemin de fer….qui ne voyait plus passer qu’un seul train par jour !
L’un des enfants s’adresse au plus âgé sur un ton inquiet :
La petite gare de Grünewald |
-« Dis donc c’est vrai qu’on a entassé des enfants comme nous, avec leurs mères, dans des wagons pour un long long voyage sans jamais les voir revenir ?
-Mais non mais non , on ne sait pas c’est du passé !
-si, c’est vrai, je l’ai lu à l’ école et même au Mémorial des Déportés où la maîtresse nous a conduits .
Alors commence dans la tête de l’enfant, la leçon d’histoire chargée d’images qu’il a vu passer sur l’ écran de télévision dans la caravane :mais oui ,ils s’appelaient Victor, Irène, Eva ,Myriam , enfermés derrière des barbelés…. Après un interminable voyage jusqu'à Auschwitz , Ravensbrück, et autres camps ,séparés de leur mère, examinés, triés ,nus, ils étaient livrés aux mains de leurs bourreaux pour expériences médicales ,travail ,jusqu'à la fin tragique qui inévitablement les conduisaient à la mort ….les mots se bousculent dans la mémoire de l’enfant : exhibés, exclus, expulsés ,exploités, exécrés, exterminés ,exécutés.
Il se souvient aussi avoir entendu ses parents et ses grands parents occupés au paillage des chaises ; ils parlaient des camps d’internement pour les tsiganes : Montreuil Bellay …..un camp pour « individus sans domicile fixe, nomades et forains, ayant le type romani » .Ils étaient Manouches, Gitans, Roms, Tsiganes en somme ; «type romani » c’est bien un caractère raciste retenu et appliqué de 1940 à 1945.
Une question assombrit tout à coup le visage de l’enfant :
-« et tu crois que ça pourrait recommencer ?
Il a raison l’enfant : Que sera demain ? Esclavage, tortures, trafics de tous genres, naufrages, négation de toute HUMANITE ? Avons-nous oublié ce qu’est l’EXIL et perdu le sens du terme EXILES ? Ce présent est ici, à notre porte et là-bas hors du temps et de l’espace .
L’enfant heureusement, vit l’instant présent et sa force de vie, son enthousiasme chassent rapidement les images de la Peur : le Ballon est là, à portée de mains,fascinant .
Les marronniers jaunissants , laissent tomber leurs fruits :Ploc ! Ploc ! Ploc !
-« si on envoyait des marrons avec ma fronde
-dans les jambes
-oui on visera bien
- allez ,tu soulèves le grillage et on franchit la ligne, on fonce »
Nos quatre gaillards arrivent sur le terrain de foot où les collégiens, avec un ballon pour 3 s’entrainent sérieusement
-« venez,venez on fait une équipe ! »
Les visages des nouveaux venus s’éclairent, les sourires montrent leurs dents blanches sur leur peau tannée. Peu importe les shorts déchirés , les chaussettes et les godasses trouées ,chacun trouve son partenaire ou son adversaire .
La séance se termine , tous les ballons doivent être rassemblés pour la prochaine fois .
Paul lance un appel :-« Vous reviendrez ?
-peut-être ….mais où serons-nous ? »
Discrètement Paul subtilise le plus beau ballon aux couleurs de l’équipe de France et l’abandonne sur le terrain ….sans rien dire
-« c’est pour nous, il est sympa, on reviendra
-on croira qu’on l’a volé ! Forcément »
Le Ballon porté à deux mains comme un joyau , les enfants reprennent le chemin de leur campement derrière la ligne de chemin de fer . Nourris des rêves les plus fous pour un avenir meilleur, ils se passent le ballon avant de le lancer haut dans le ciel,
Plus haut que l’horizon aux couleurs de l’Espoir…..
Photo de DANIEL FERNANDEZ
LE BALLON
Un froid piquant gelait leurs doigts engourdis, vainement accrochés à ce grillage qui nous séparait. Leurs regards noirs ,lointains rayonnaient de convoitise et les mots timides ,chuchotés de l’un à l’autre fusaient :
-« on y va ?
-par où ?
-on traverse la ligne !
-non, le train arrive
-mais non c’est la draisine ! »
La draisine, drôle de nom pour un seul wagon, bruyant, ferrailleur, jaune pétant, destiné à l’entretien d’une ligne de chemin de fer….qui ne voyait plus passer qu’un seul train par jour !
L’un des enfants s’adresse au plus âgé sur un ton inquiet :
La petite gare de Grünewald |
-« Dis donc c’est vrai qu’on a entassé des enfants comme nous, avec leurs mères, dans des wagons pour un long long voyage sans jamais les voir revenir ?
-Mais non mais non , on ne sait pas c’est du passé !
-si, c’est vrai, je l’ai lu à l’ école et même au Mémorial des Déportés où la maîtresse nous a conduits .
Alors commence dans la tête de l’enfant, la leçon d’histoire chargée d’images qu’il a vu passer sur l’ écran de télévision dans la caravane :mais oui ,ils s’appelaient Victor, Irène, Eva ,Myriam , enfermés derrière des barbelés…. Après un interminable voyage jusqu'à Auschwitz , Ravensbrück, et autres camps ,séparés de leur mère, examinés, triés ,nus, ils étaient livrés aux mains de leurs bourreaux pour expériences médicales ,travail ,jusqu'à la fin tragique qui inévitablement les conduisaient à la mort ….les mots se bousculent dans la mémoire de l’enfant : exhibés, exclus, expulsés ,exploités, exécrés, exterminés ,exécutés.
Il se souvient aussi avoir entendu ses parents et ses grands parents occupés au paillage des chaises ; ils parlaient des camps d’internement pour les tsiganes : Montreuil Bellay …..un camp pour « individus sans domicile fixe, nomades et forains, ayant le type romani » .Ils étaient Manouches, Gitans, Roms, Tsiganes en somme ; «type romani » c’est bien un caractère raciste retenu et appliqué de 1940 à 1945.
Une question assombrit tout à coup le visage de l’enfant :
-« et tu crois que ça pourrait recommencer ?
Il a raison l’enfant : Que sera demain ? Esclavage, tortures, trafics de tous genres, naufrages, négation de toute HUMANITE ? Avons-nous oublié ce qu’est l’EXIL et perdu le sens du terme EXILES ? Ce présent est ici, à notre porte et là-bas hors du temps et de l’espace .
L’enfant heureusement, vit l’instant présent et sa force de vie, son enthousiasme chassent rapidement les images de la Peur : le Ballon est là, à portée de mains,fascinant .
Les marronniers jaunissants , laissent tomber leurs fruits :Ploc ! Ploc ! Ploc !
-« si on envoyait des marrons avec ma fronde
-dans les jambes
-oui on visera bien
- allez ,tu soulèves le grillage et on franchit la ligne, on fonce »
Nos quatre gaillards arrivent sur le terrain de foot où les collégiens, avec un ballon pour 3 s’entrainent sérieusement
-« venez,venez on fait une équipe ! »
Les visages des nouveaux venus s’éclairent, les sourires montrent leurs dents blanches sur leur peau tannée. Peu importe les shorts déchirés , les chaussettes et les godasses trouées ,chacun trouve son partenaire ou son adversaire .
La séance se termine , tous les ballons doivent être rassemblés pour la prochaine fois .
Paul lance un appel :-« Vous reviendrez ?
-peut-être ….mais où serons-nous ? »
Discrètement Paul subtilise le plus beau ballon aux couleurs de l’équipe de France et l’abandonne sur le terrain ….sans rien dire
-« c’est pour nous, il est sympa, on reviendra
-on croira qu’on l’a volé ! Forcément »
Le Ballon porté à deux mains comme un joyau , les enfants reprennent le chemin de leur campement derrière la ligne de chemin de fer . Nourris des rêves les plus fous pour un avenir meilleur, ils se passent le ballon avant de le lancer haut dans le ciel,
Plus haut que l’horizon aux couleurs de l’Espoir…..